Jean-Pierre Péquignot, Paysage matinal avec Orphée et Eurydice

La France honorerait aujourd'hui sa mémoire,
Si son orgueil, moins fier, eût accueilli la gloire.
Aimant les arts pour eux, heureux d'être oublié,
Ses seuls besoins étaient l'étude et l'amitié ;
Par l'étude fixé sur la terre étrangère,
Pour compagne il garda la pauvreté sévère,
Pour mentor le travail, et ses nobles mépris
Aux hommes comme à l'or n'attachaient aucun prix.
Plus d'une fois j'ai vu la bizarre fortune,
Accourant sur ses pas, lui paraître importune,
Je l'ai vu, dédaignant les dons de sa faveur,
Lui-même malheureux, secourir le malheur !

A.-L. Girodet-Trioson à propos de Péquignot,
Le peintre, in Œuvres posthumes

Jean-Pierre Péquignot, Paysage avec fabriques et deux personnages féminins sur un chemin, coll. part, USA.

Jean-Pierre Péquignot Baume-les-Dames, 1765 - Naples, 1807

La hiérarchie des genres, qui plaçait le paysage en pénultième position, juste devant la nature morte, desserra progressivement son étreinte à partir de la Révolution française et des premiers émois romantiques. C'est dans ce hiatus artistique, entre le paysage "moral" d'un Poussin et celui plus exalté des Romantiques, que Jean-Pierre Péquignot établit son art, des paysages idéels où les personnages ne semblent souvent occupés qu'à remplir leur éternel otium par les choses de l'esprit ou en se fondant, ainsi que d'oniriques architectures, dans une Nature rêvée où le temps, sinon l'espace, est définitivement aboli. Cette Nature qu'on imagine volontiers heureuse avec ces ciels toujours bleus et cet air hyalin et lumineux ne s'estompant qu'en ses lointains, laisse échapper, au milieu des gazouillis d'un ruisseau et des clarines des moutons, la douce mélopée d'une syrinx et la cantilène d'un aède. C'est le doux accord entre la bienveillante sauvagerie des montagnes et une rusticité ordonnée par la main de l'homme ou peut-être même par celles des dieux… ce que serait peut-être le monde sans la faute : un Hameau de la Reine survitaminé, du rousseauisme appliqué à la gestion des paysages… Il émane des tableaux de Péquignot l'assurance d'une solide culture, tempérée, dans ce qu'elle pourrait souffrir d'un froid classicisme, par la contemplation heureuse de la Nature.

 

Portrait présumé de Jean-Pierre Péquignot par Costanzo Angelini

Jean-Pierre Péquignot naît à Baume-les-Dames en 1765. Son père, un "humble forgeron", perçoit chez ses deux fils des aptitudes pour les arts et les inscrits à l'Académie de peinture et de sculpture de Besançon, ce qui ne laisse pas d'étonner un peu à une époque où, souvent, le fils reprend le métier du père et où l'honorable profession de maréchal-ferrant ne prédispose que très peu aux rêveries artistiques, fussent-elles destinées à sa progéniture… Il est a noté que cette "Académie", fondée par Wyrsch et Breton en 1773, était gratuite.

Suite à une injustice (c'est du moins comme cela qu'elle fut ressentie) dans l'attribution d'un prix par cette Académie, qu'Antoine (le frère donc) vit comme une humiliation, les deux jeunes gens partent pour Paris et s'inscrivent dans une institution réservée aux fils de militaires tués ou blessés au service de la France, l'Institution Pawlet. Cette nouvelle situation suppose que l'"humble forgeron"possédât un certain entregent ou alors qu'il ait eu une vie militaire avant son établissement en tant qu'artisan. Les deux frères fréquentent également l'Académie royale de peinture et de sculpture. Selon l'un de ses biographes, Maurice Thuriet, Jean-Pierre Péquignot aurait, pendant son séjour parisien, rencontré et reçu des conseils, sinon des leçons, du peintre Joseph Vernet et, plus tard, également de Jacques-Louis David. C'est d'ailleurs ce dernier qui aurait engagé Péquignot à faire le voyage de Rome et lui aurait trouvé un mécène.

Il semble que Péquignot arrive dans la Ville Éternelle en 1788. Dès son arrivée une mauvaise nouvelle l'attend : son mécène a fait faillite et ne peut pas lui envoyer les appointements promis. Devant ce coup du sort "Péquignot ne se découragea pas. Déjà habitué à vivre de ses pinceaux, il se mit vaillamment au travail, réussit à vendre ses tableaux". C'est à cette époque que Péquignot rencontre celui qui toute sa vie gardera de lui un souvenir ému et lui témoignera son indéfectible estime : Anne-Louis Girodet. Les circonstances politiques autant que leurs goûts artistiques rapprochent les deux peintres et c'est aux côtés de Girodet que Péquignot échappera de justesse à la vindicte populaire quand la populace romaine, sans doute excitée ("altérée de notre sang" écrit Girodet) par l'autorité papale, saccage le palais Mancini (qui sera ensuite remplacé par la villa Médicis en 1795) en signe de protestation à l'anticléricalisme révolutionnaire des Français. Des septembriseurs à l'envers.

S'ensuit une rocambolesque fuite vers Naples pendant laquelle, plusieurs fois encore, leurs vies furent en danger. L'établissement à Naples des deux amis semble avoir été relativement facile et la période d'accalmie après les vicissitudes romaines fut mise à profit pour l'étude et l'art. Péquignot est au service d'un fermier général français en tant que professeur de dessin et part avec celui-ci et son précepteur pour Malte et la Sicile. Ce voyage de quelques mois semble l'avoir enthousiasmé.

Retour à Naples en juillet 1793. Péquignot ne le sait évidemment pas encore mais il n'en partira plus. Période riche en excursions et en études artistiques en compagnie de Girodet dans les paysages de Campanie. Cette époque de félicité et d'intense création est malheureusement interrompue par la promulgation d'un édit expulsant les Français du royaume de Naples. Péquignot et Girodet décident tout de même de rester. Girodet se réfugie à Sorrente puis quitte finalement le royaume en 1794. Péquignot reste seul à Naples où il trouve des appuis, des protecteurs pour échapper à la mise en demeure d'émigrer mais c'est à partir de ce moment-là que commence pour lui une lente et irrémédiable période de trouble et de déchéance morale et physique. Est-ce la solitude, les difficultés d'existence, son idiosyncrasie qui provoquèrent cette sorte d'acédie ? Toujours est-il qu'"il avait pour le monde une aversion naturelle qui dégénéra peu à peu en une misanthropie maladive […] Il négligea sa tenue et, chose plus triste, versa dans la plus funeste des habitudes, l'alcoolisme." "Pequignau avoit le défaut de se livrer à la boisson, on le trouvoit souvent ivre et endormi dans les rues de Naples ; quoiqu'il soit bien digne par son talent et son esprit de vivre dans la classe la plus élevée de la société, il parroit qu'il étoit souvent avec les gens de la plus basse classe".

Il mourra seul et abandonné à Sorrente. Girodet essaiera de récupérer ses quelques biens et son fonds d'atelier mais un colonel napolitain peu scrupuleux, à qui le frère de Péquignot, sur les malheureux conseils de Girodet lui-même, avait donné procuration, les vendra pour son propre profit.

 

Ici brille Sorrente, asile obscur du Tasse,
Tombeau d'un jeune Apelle en sa fleur dévoré,
Et que le dieu des arts en secret a pleuré.

Girodet, Le Peintre

DAS

Émilie Beck Saiello, Jean-Pierre Pequignot, Baumes-les-Dames 1765 - Naples 1807, 2005, ed. Artema. Le livre d'Émilie Beck Saeillo est en vente ICI.

De Artibus Sequanis, Jean-Pierre Péquignot.

Maurice Thuriet, Un artiste oublié : le peintre Jean-Pierre Péquignot de Baume-les-Dames, Société d'Émulation du Doubs, séance du 23 novembre 1910.

P.-A. Coupin, Œuvres posthumes de Girodet-Thioson, 1829.

Abbé Brune, Dictionnaire des Artistes et Ouvriers d'Art de la Franche-Comté, 1912.



Afficher ce mail dans votre navigateur en cliquant  ICI / Se désinscrire en cliquant