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Maurice Morel

Ornans, 1908 - Paris, 1991


« Je fais de la peinture, comme on dit, par une exigence aussi indispensable à ma vie spirituelle que le sommeil et l’exercice le sont à ma vie physique et qui affecte du reste jusqu’à cette dernière. La peinture mobilise mes diverses forces pour la même fin, mais mieux que n’y parviendrait dans mon genre d’esprit la méditation ignatienne. C’est dire que l’art doit avoir pour moi dans mon ordinaire le même désintéressement, la même disponibilité, la même liberté, mais aussi les mêmes conditions que la contemplation. » Maurice Morel




Maurice MOREL, peintre de l’abstraction est né en 1908 à Ornans (Doubs).

Le jour de sa première communion, qui fût aussi celui de sa première visite d’un musée (c’était celui de Besançon) est aussi celui de la révélation d’une double vocation, celle de prêtre et de peintre, se nourrissant mutuellement de leur propre enrichissement, de leur approfondissement. Toute l’existence de Maurice Morel n’a été que fidélité à cette double exigence d’une présence et d’une image. D’où cette part réservée à la peinture tant dans les académies libres de Montparnasse que dans la fréquentation des Maîtres contemporains dont plusieurs, comme Rouault, lui donnèrent non seulement des conseils, des confidences, mais une rare amitié.

Il expose dès 1933 sur quelques cimaises parisiennes et notamment lors de la première manifestation d’un « Art d’inspiration religieuse » chez Lucy Krogh. Ordonné prêtre, il prend quelques distances avec le monde de l’art pour se consacrer à la création artistique dans le cadre d’un exercice spirituel strict, encouragé par l’Église, directement de Rome. C’est sans doute ce qui explique la grande cohésion, l’équilibre de l’ensemble de son œuvre qui s’exprime par la gouache et les pastels, souvent sur papier dans des petits formats.

Parler de Maurice MOREL n’est pas chose aisée tant, la conjonction de ces trois facettes, l’homme, le peintre, le prêtre, peut parfois être déroutante. On pourrait parler d’un être hybride, un peu gouailleur, un peu prêtre ouvrier, en partie critique d’art et surtout peintre. Un peintre spirituel au sens étymologique du terme qui a découvert très tôt, en même temps que sa rencontre avec Dieu, l’Art pictural. À 55 ans, Maurice Morel estime qu’il a assez parlé de peinture. Désormais, il se contentera de peindre. S’il n’a pas encore terrassé le dragon de St Sulpice, on le regarde de travers dans les galeries, avec sa soutane, les gens s’approchent pour le questionner. À la Galerie Roque à Paris, en 1963, se mêlent à la foule présente au vernissage, des robes de prêtres noires ou blanches. Et nul bien sûr ne s’en étonne. Il s’agit là d’une consécration, l’âge d’or dans l’œuvre de Maurice Morel, celle où il expose un bel ensemble d’œuvres non figuratives dont une partie est exposé à la Galerie de l’Exil aujourd’hui.

« J’ai toujours eu un grand besoin d’images et un grand appétit de couleurs. »

Maurice Morel : « J’ai toujours eu un grand besoin d’images et un grand appétit de couleurs. J’ai été dans ma plus tendre enfance, à cinq ou six ans, quasiment amoureux d’une couleur. C’était un jaune indien, une couleur intermédiaire qui est entre l’ocre jaune et l’orangé. Je l’avais aperçue parmi une demi-douzaine d’autres que contenait une boîte d’aquarelle à la devanture d’une papeterie de ma ville natale.

J’en étais tellement émerveillé que je courais chaque jour à elle en sortant de l’école pour la contempler le plus longuement ; sans doute m’avait-elle touché par ce qu’elle avait d’étrange et d’irréel, car je ne la voyais nulle part ailleurs, ni dans les choses, ni dans les peintures.

Elle me fascinait en tout cas, comme une pierre précieuse égarée dans des banalités. Peu après j’ai été pareillement ébloui par un rouge que maniait un de mes voisins pour dépeindre un zouave sur une feuille de papier, et je ne saurais dire combien j’ai été jaloux de mes camarades assez fortunés pour posséder une boîte de peinture.

J’ai dû attendre, pour en avoir une, ma douzième année et ne l’ai acquise qu’en échange de mes cravates. Tout ce que j’avais pu me procurer auparavant c’était un petit morceau de rose bien vite épuisé et dont j’avais barbouillé quelques journaux avec le blaireau de mon père. Ces ébats, analogues à ceux d’un bébé dans sa baignoire, suscitèrent la première opposition sociale à mes aspirations lesquelles allaient être combattues, et très énergiquement, par tous les êtres dont je dépendrais durant ma jeunesse, parents, professeurs, etc… J’avais été impatient d’arriver à une de ces classes où l’on faisait du dessin. Mais l’année même où j’y parvins, on en supprima l’enseignement dans le collège où j’étudiais. Je m’en suis réjoui par la suite autant que j’en fus alors attristé. Car j’aurais été déformé pour la vie par les professeurs de cette époque, comme le sont certains enfants dans les cirques ou comme l’étaient jadis les pieds des Chinoises. »

Ces propos sont annonciateurs de ce qui sera l’œuvre picturale de Morel : au-delà de la composition parfaite et structurée, inspirée par des choses, des objets, des personnes, des sentiments, la couleur !

La couleur, personnage central, coiffe, insère, domine, structure, polit, harmonise un travail tout en douceur, presque sans bruit, furtif comme le claquement d’une portière de Rolls Royce, dans des petits et moyens formats qui ne sont pas forcément au goût du jour mais qui rendent ses œuvres tellement humaines, humanistes.

Elles nourrissent l’âme avec de beaux et nobles sentiments. Remède contre l’angoisse et le désordre, un baume salvateur vient apaiser vos tourments. Que voulez-vous de mieux ?

Jacques Mauguin

Avec l'aimable auorisation de la Galerie de l'Exil,
18 Avenue Matignon 75008 Paris.




MAURICE MOREL (1908-1991)

 

« Je fais de la peinture, comme on dit, par une exigence aussi indispensable à ma vie spirituelle que le sommeil et l’exercice le sont à ma vie physique et qui affecte du reste jusqu’à cette dernière. La peinture mobilise mes diverses forces pour la même fin, mais mieux que n’y parviendrait dans mon genre d’esprit la méditation ignatienne. C’est dire que l’art doit avoir pour moi dans mon ordinaire le même désintéressement, la même disponibilité, la même liberté, mais aussi les mêmes conditions que la contemplation. »1 Maurice Morel

 

Si l’on connaît le nom de l’Abbé Morel dans son action pour la défense de l’art sacré non figuratif et sa participation à l’élaboration du Musée d’art moderne au Vatican, celui de Maurice Morel l’artiste et le critique d’art, est moins connu.

 

Né à Ornans en 1908, Maurice Morel se découvre très jeune une double vocation : sacerdotale et artistique. Dès 1925, Maurice Morel fait la rencontre de celui qui deviendra son premier mentor, Max Jacob. Si ses premiers amours pour la poésie sont assez rapidement déçus, c’est vers la peinture qu’il va naturellement se laisser porter. Des encouragements et conseils de Max Jacob va naître, dans l’esprit du jeune collégien, l’idée de se réaliser, de s’exprimer et de s’engager à la fois comme artiste mais également comme défenseur de l’Art. Au sortir du collège de Besançon en 1927, il s’installe à Paris. Il commence dès lors à travailler chez Max Jacob qui l’introduit dans les divers milieux artistiques de Paris, lui faisant rencontrer quantité d’artistes, peintres, poètes et écrivains dont notamment Picasso, Braque, Georges Rouault ou encore Matisse. Souhaitant promouvoir l’expression moderne de l’art religieux, il organise et participe, en 1933, à la Première Exposition d’Art religieux moderne à la galerie Lucy Krogh, manifestation qui se renouvellera dans cette même galerie plusieurs années de suite. Dès lors, il cherchera à comprendre les grands bouleversements de la peinture moderne qui ont suivi l’Impressionnisme pour les intégrer dans sa vision moderne de l’art sacré. Prêtre et critique d’art (spécialiste de Rouault et Picasso) dans la lumière, artiste dans le secret, Maurice Morel s’est tout simplement engagé en Art. Dans un style alors résolument figuratif, ses dessins, réalisés à la pointe de la plume, dans l’encre et l’aquarelle, sont lyriques et oniriques. Si la prose s’est imposée à lui plus que les vers, c’est la peinture qui l’a consacré poète.

 

1934-1940 : Jean Bazaine et la non figuration, à la recherche de l’art le plus concret

 

Son travail semi-figuratif encore marqué par l’influence poétique de Max Jacob, Morel, abbé depuis 1934, s’engage avec Bazaine pour un art sacré plus ouvert, un art sacré tenant compte des grandes transformations de l’art moderne. Ils créent ensemble, en 1936, une éphémère Académie de peinture dans l’idée de rénover la pédagogie artistique et mettre en pratique leur conception de l’art pictural, avec exigence et sans concession.

Suite à leur collaboration, Morel, adepte de la non figuration, donne une grande intimité à son message artistique et spirituel. L’abstraction pour l’abstraction ne l’intéresse pas. Il cherche à se détacher d’une représentation figurative tout en peignant des thèmes profondément ancrés dans le concret, des thèmes porteurs de ses méditations. Son format de prédilection ? Les petits supports… des œuvres qui s’apprécient de près autant qu’elles se regardent de loin. Des œuvres comme des confidences à l’égard d’un homme au caractère discret, relatif à l’ordre des Jésuites ou à saint Ignace de Loyola.

 

1940-1953 : l’influence de Georges Rouault et d’Alfred Manessier, le travail sur les couleurs et les matières

 

Après sa mobilisation en 1939, Maurice Morel est de retour à Paris l’été 1940. Il se consacre, durant ces années de guerre, à sa peinture, à des artistes de son époque et à la défense de l’art sacré non figuratif. Il s’affirme comme conférencier, critique et éditorialiste au service de l’art avec une perspicacité rare qui justifiera une renommée et une notoriété qui ne cesseront de grandir. Son objectif est de faire apprécier par le plus grand nombre l’art moderne, la défense de ses maîtres et de ceux qui deviendront les peintres de la Nouvelle École de Paris : Bazaine, Manessier, Estève, Le Moal…

Il étudie les confrontations entre l’art moderne et l’art classique, entre la tradition vivante et le traditionalisme qui paralysent les esprits et les institutions. Des centaines de conférences, des dizaines d’articles et d’essais sonneront le commencement d’une véritable croisade dont l’un des moments les plus célèbres est sûrement la fameuse conférence consacrée à Picasso en 1946 au Grand amphithéâtre de la Sorbonne qui lui vaudra le surnom de « Curé d’art » par le Canard Enchaîné. Son action commence dès lors à porter ses fruits au sein de l’Église, aboutissant en 1957 à la mission que lui confie le Pape Pie XII d’une véritable réflexion sur la création d’un musée d’art moderne au Vatican. Lors de la première exposition personnelle d’Alfred Manessier en 1946 à la galerie Jeanne Bucher, Maurice Morel est fortement séduit par la spiritualité, l’univers et les couleurs qui se dégagent de ses toiles. Les deux artistes qui se connaissent déjà par leur ami commun Jean Bazaine vont se rapprocher autour du Maître Georges Rouault pour réfléchir à la technique du vitrail et à son expression non figurative. Sous l’égide de Rouault, Morel se révèle coloriste et maître des matières. De sa collaboration avec Manessier, il fusionne son œuvre non figurative avec sa spiritualité.

La complicité artistique de Georges Rouault et de Maurice Morel aboutit à la publication du Stella Vespertina en 1947 et du Miserere en 1948. À partir des années cinquante, il s’emploie alors à certains travaux cinématographiques sur la peinture et l’Art moderne pour prolonger par le film le message de ses conférences et ses écrits. Avec l’accord de Georges Rouault, Morel entreprend de faire un film sur le Miserere, dont il écrit le commentaire. Ce film est projeté le 6 juin 1951 au Palais de Chaillot, à l’occasion de l’hommage rendu à Georges Rouault pour son 80e anniversaire. Maurice Morel réduit alors progressivement le nombre de ses conférences pour se consacrer de plus en plus à son travail de peintre. Il expose alors davantage.

Le primitivisme et l’abstraction de ses têtes de Christ ainsi qu’une série de travaux autour de l’art du vitrail, suscitent un bel engouement pour son art si puissant et animant.

 

1953-1980 : un artiste avoué

 

« S’il a donc de beaucoup préféré depuis dix ans l’expression plastique à d’autres plus directes, plus habituelles à son état et dans lesquelles il était passé maître, c’est non pas certes par l’abandon mais par le développement naturel et l’approfondissement d’un témoignage, parce que ce prêtre, ainsi qu’il l’a affirmé, pense avoir suffisamment parlé de peinture pour ne s’employer présentement qu’à peindre ce qui ne peut se dire. »2

À la mort de Rouault en 1958, il éprouve le besoin de se consacrer davantage à sa peinture. Les rares grands formats qu’il a réalisés marquent sa volonté d’être plus présent sur la scène artistique de son temps. Son œuvre le fait appartenir naturellement à cette famille d’artistes que l’on appellera plus tard La Nouvelle École de Paris. Maurice Morel a trouvé dans l’art abstrait « le plus concret »3, « [l’expression de]ce qui ne peut se dire »4. Par sa peinture, il dit approfondir, exprimer son engagement pour la vie. Dans les années soixante-dix, il développe son travail autour de la méditation pour des lieux de culte, autour du vitrail et de la tapisserie, qui aboutira à plusieurs commandes pour des églises, et dont il suivra de près les exécutions. Décoré en 1968 par André Malraux pour le rayonnement culturel de son action, Maurice Morel voit se concrétiser ce à quoi il a consacré une part importante de sa vie : l’acceptation par l’Église d’une représentation non figurative de l’Évangile avec l’inauguration en 1973 d’un musée d’art moderne au Vatican. Sa peinture non figurative se rattache toujours à quelque chose de concret : la nature, un lieu, une idée, un événement, une pensée, une réflexion, une personne. C’est une peinture apparemment abstraite mais qui garde toujours un lien proche et essentiel avec quelque chose d’éminemment réel, un travail raffiné sur les matières et les couleurs. Cire, gouache, pastels à l’huile, feutre… Morel teste. Cartons d’invitation, pages de magazine, cartons… Morel recycle. Une touche impulsive, un papier meurtri, Morel utilise son pinceau comme un outil. Comme le sculpteur révèle son œuvre dans le marbre, Morel attaque, gratte dans le souci de confesser au mieux ce non-dit. La spiritualité se lit, se sent, se livre sur ce bout de papier.

 

1980-1991 : la période méditative

 

En 1984, une exposition « Hommage à l’abbé Morel », se tient à la Galerie La Pochade où est présentée une sélection de ses peintures, gouaches et aquarelles en même temps q’une sélection des œuvres de sa collection personnelle dont son portrait en chaire de Rouault.

Souffrant d’une hémiplégie depuis le début des années quatre-vingt, son art témoigne de ce corps souffrant. Sa peinture devient de plus en plus épurée et contemplative, représentant des ciels et des horizons. À la fois gras et rugueux, le pastel à l’huile, qui devient son outil de prédilection, donne alors à son œuvre une matière à la méditation et à la sérénité au-delà de son propre tourment. Maurice Morel s›éteint à l›âge de 83 ans le 15 février 1991 dans la Maison de Retraite Marie-Thérèse à Paris où il s’était retiré.

Qu’il s’agisse du critique d’art ou de l’artiste, celui dont Fernand Léger disait « avec lui, on peut s’entendre, il est du bâtiment »5 , est un acteur majeur de l’art moderne du xxe siècle. Sa discrétion dans l’historiographie n’est pas pour autant signe d’un artiste livré aux doutes et à l’oubli. Maurice Morel a toujours été conscient de son talent. Côtoyer ses amis artistes, considérés aujourd’hui comme les maîtres de l’art moderne, lui a permis de se situer dans ses faiblesses et dans ses qualités. Dépeint par ses proches comme un homme à l’humour mordant et à la critique incisive, les rencontres avec Max Jacob et Georges Rouault, ses mentors, sa collaboration avec Jean Bazaine et Alfred Manessier, l’influence de Picasso et ses recherches personnelles sont autant de clés, de repères pour aider à la compréhension de son œuvre. Cigarette à la bouche et lunettes de motard sur le front, l’homme en soutane est un artiste passionné et passionnant, metteur en scène et interprète de cette Histoire de l’art du XXe siècle.

Jessica Cheze

Avec l'aimable auorisation de la Galerie de l'Exil,
18 Avenue Matignon 75008 Paris.




Notes


1) — Maurice Morel, « Pourquoi je peins », Art et non Art, février 1971.

2) — Jean Lescure, « Biographie », in Catalogue d’exposition de la Galerie Roque, Paris, 1963.

3) — Maurice Morel, « Pourquoi je peins », Art et non Art, février 1971.

4) — Jean Lescure, « Biographie », in Catalogue d’exposition de la Galerie Roque, Paris, 1963.

5) — Citation extraite d’une allocution radiophonique, rapportée dans André Bouler, « L’abbé Morel et les peintres », in Études, 1991.